Enfin le rapatriement d’une partie des enfants français de djihadistes détenus en Syrie : un pas dans la bonne direction mais ne laissons pas les autres derrière !

Depuis mars 2021, je me suis investie pour la cause du rapatriement des épouses et des enfants français de djihadistes détenus en Syrie et ai plusieurs fois interpellé le gouvernement à leur sujet. Les échéances électorales avaient empêché toute progression sur la question ; aussi je me félicite que, ce temps passé, le gouvernement ait enfin annoncé cette semaine le rapatriement de 35 enfants et de leurs mères sur le sol français. C’est un pas important. Il faut désormais élargir cette décision aux 150 enfants encore présents là-bas.

Veuillez trouver ci-dessous ma perception de la situation et des enjeux en mars 2021 à mon retour du Rojava :

« Depuis plusieurs mois j’ai choisi de m’intéresser à une cause qui est devenue très importante pour moi : le rapatriement des épouses et des enfants français de djihadistes détenus en Syrie.

Je sais que cette cause est loin d’être populaire ; elle me vaut des retours de volée cinglants sur les réseaux sociaux, sous l’angle « qu’ils y restent » (j’édulcore). D’autres personnes moins fermées, moins inquiètes peut-être ou plus interrogatives aussi, me demandent pourquoi  je me bats (encore) sur un enjeu de cette nature, du style où il n’y a que des coups à prendre. Alors je leur raconte ce qui va suivre, en espérant qu’elles sortent de l’échange avec un regard différent, voire même la reconnaissance que la cause est juste.

 

Depuis 2019 et la débâcle de Daesh en Syrie, plusieurs milliers de femmes et d’enfants sont rassemblés dans plusieurs camps dans le nord-syrien, sous administration kurde au Rojava. Dans le camp d’Al Hol, 64 000 personnes sont détenues, toutes ressortissantes de pays tiers à la Syrie et pour beaucoup européennes. A Roj, sont regroupés les ressortissants français ; on dénombre une centaine de femmes et environ deux cents enfants, dont une majorité a moins de 6 ans. Ces mères sont des épouses ou des veuves de djihadistes ; elles ont à des degrés divers adhéré à l’idéologie islamiste radicale. Certaines d’entre elles ont commis des actes répréhensibles, pris les armes, endoctriné, peut-être plus. D’autres ont été suivistes, entrainées en Syrie par l’idée d’une vie conforme à une vision d’un Islam radical idéalisé, vite fracassée par une réalité sordide et violente. Toutes font l’objet d’un mandat d’arrêt international.

 

Quelques mots sur la vie sur place, dont la vocation n’est pas d’émouvoir mais de mettre en contexte. Dans les camps, les tentes sont alignées dans la promiscuité ; les températures alternent de -10 à +45 degrés selon le moment de l’année. Les rationnements de nourriture sont le lot quotidien. L’accès à l’hygiène et la santé est aléatoire. Les enfants ne sont pas scolarisés. Comme dans toute société déshumanisée, la violence, la corruption et les exactions se sont développées. Le camp est devenu un endroit très dangereux pour tout le monde. Depuis la France, des grands-parents envoient de l’argent, qui pour large partie n’arrive pas aux destinataires mais à différents intermédiaires.

 

Les autorités kurdes-syriennes ont fait jusqu’à présent le nécessaire pour héberger et surveiller ces détenus. Elles avaient initialement indiqué vouloir juger les adultes sur place tant pour les actions commises que pour l’exemple vis-à-vis des populations sur lesquelles Daesh s’était acharné, avant d’être vaincu justement par ces combattants kurdes, laissés seuls au front par la coalition internationale.

 

Mais récemment, un revirement a eu lieu et les autorités du Rojava demandent désormais le rapatriement des femmes et des enfants, notamment européens, dans leur pays d’origine. J’imagine qu’une des raisons est que la charge financière devient lourde –bien qu’il ait été évoqué que des pays occidentaux ont financé la détention, sans que l’information soit révélée, en tout cas en France- ; je pense aussi que l’insécurité croissante dans les camps, les évasions et les morts qui se multiplient, créent un risque réputationnel trop important pour ce fragile Etat en construction. Car le Rojava pas plus que le Kurdistan syrien ne constituent un Etat, ce qui rend notamment impossible l’établissement d’une cour pénale internationale qui pourrait juger les auteurs des crimes de Daesh.

 

Une situation humanitaire désastreuse.

Un désengagement des geôliers.

Un risque sécuritaire qui s’aggrave.

Une impasse judiciaire.

Des enjeux géopolitiques qui se complexifient.

Tous les ingrédients sont prêts pour l’une de ces catastrophes ou l’un de ces scandales diplomatiques -ou les deux- que la veulerie politique sait si bien créer.

 

Car que croyez-vous qu’il se passe pour les ressortissants français du camp de Roj ?

Et bien, en fait, rien.

« Paris » dit non aux rapatriements, sauf au cas par cas (35 ont été réalisés) et seulement pour les jeunes enfants. Pas question, pour le chef de l’Etat et son ministre des affaires étrangères de faire revenir en France des femmes radicalisées et leurs enfants, en raison de l’hostilité créée par une telle hypothèse dans l’opinion publique.

 

Nous y voilà : du poids des sondages sur l’attitude politique… En 2019, Emmanuel Macron, le Premier ministre et plusieurs membres de son gouvernement s’étaient rangés à la conviction qu’il valait mieux faire revenir ces femmes et leurs enfants en France plutôt que de laisser la situation se dégrader sur place. Ils ont reculé à la lecture d’un sondage hostile à ces retours.

« Paris » ne refuse donc pas le rapatriement de ces femmes parce que c’est une mauvaise solution, mais parce qu’elle serait mal perçue. Donc « Paris » choisit une solution encore plus mauvaise et encore plus risquée pour les Français en France.

« Paris » refuse d’expliquer les enjeux et pense les Français incapables de comprendre un raisonnement pourtant limpide.

 

Rapatrier, cela permet d’éviter que les femmes binationales –ou prétendument telles- le soient vers d’autres pays que la France et échappent à notre justice.

Rapatrier, cela permet d’éviter la constitution de filières de retours clandestins vers la France ou par le biais de flux de migration.

Rapatrier, cela permet d’éviter les évasions des familles du camp, suivies de leur disparition sur le terrain, suivies possiblement par leur réinstallation dans des cellules islamistes radicales qui sont en cours de reconstitution dans l’est-syrien et le nord-irakien.

Rapatrier, cela permet d’éviter de faire bouillir à petit feu la haine de la France chez ces mères françaises et surtout leurs enfants qui, pour plusieurs dizaines d’entre eux, n’ont connu que la captivité dans leur jeune vie.

Rapatrier, cela permet d’éviter que dans quelques années, des jeunes gens grandis dans les camps parviennent à rejoindre notre pays avec des intentions que l’on devine après un tel abandon et un tel mépris de leurs droits élémentaires.

Rapatrier, c’est permettre que ces femmes passent en jugement et ne soient donc pas laissées dans l’impunité.

Rapatrier, c’est permettre des procès équitables et des peines de prison justifiées, jalons pour une réinsertion.

Rapatrier, c’est permettre aux enfants d’être soignés, accueillis en structures d’accueil, aidés, scolarisés, rétablis dans leurs droits d’enfants, avant d’être réinsérés dans leur famille élargie quand elle existe.

Rapatrier, c’est permettre aux mères et leurs enfants de n’être pas totalement séparés, repliés dans la culpabilité respective de l’abandon, et de maintenir les liens familiaux.

Rapatrier, c’est permettre de ne pas laisser ces familles devenir les pièces d’un troc et la France l’otage des revendications de reconnaissance d’un Etat kurde, alors que c’est un règlement politique qui est nécessaire.

Rapatrier, c’est permettre à la France d’être cohérente vis-à-vis de ses propres ressortissants, puisqu’elle demande avec véhémence que les pays tiers reprennent leurs nationaux, expulsables du territoire français, particulièrement dans le cadre de la Directive Retour.

Rapatrier, c’est prendre appui sur la dimension européenne, puisque la Belgique, la Finlande, l’Allemagne, ont décidé de faire rentrer leurs ressortissants et c’est avoir la possibilité de s’inspirer de l’expérience accumulée en la matière en limitant les erreurs.

Rapatrier, c’est être répondre aux appels de multiples institutions internationales qui ont pris position contre la poursuite des traitements inhumains et dégradants perpétrés dans les camps.

Rapatrier, c’est aussi assumer ses responsabilités internationales et être à la hauteur de la réputation de notre pays et d’une certaine idée de la diplomatie et des droits de l’Homme.

Rapatrier, c’est ne pas « attendre après les présidentielles », c’est ne pas considérer qu’en temps de pandémie cette question est marginale, c’est entendre que tous les spécialistes de l’antiterrorisme préconisent cette option pour maintenant.

 

C’est enfin regarder dans les yeux l’opinion publique et expliquer.

Dire qu’on n’absout pas ces femmes d’avoir cédé aux sirènes de Daesh –au contraire-, qu’on n’est pas naïf, mais que ce qui est plus important c’est la consistance politique et la conviction que notre pays mérite d’être protégé.

Ce que je demande à Emmanuel Macron n’est pas de balayer ce que dit l’opinion publique ; au contraire, je considère déjà qu’il a depuis le début de son mandat trop négligé les corps intermédiaires et dirigé isolément. Ce que je lui demande c’est de prendre la décision des rapatriements et de l’argumenter dans le cadre d’un dialogue courageux avec les Français. Je suis certaine qu’il trouvera de nombreuses organisations nationales, européennes et internationales et des politiques pour le soutenir. »

 

 

Sylvie Guillaume

Publié le 7 juillet 2022 à 10h07


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